Henri Baumard "Oncle Henri"

Débuts de Radio-Genève
et de la Télévision romande
Les débuts de la radio à Genève coïncident avec la création du premier émetteur de l'aérodrome de Cointrin, réglant le balbutiant trafic diurne des aéronefs.

Quelques jeunes amateurs passionnés de TSF développent aussitôt sans autorisation leurs premières émissions de radio dès 1922.

En 1923, lorsque Berne (le Conseil Fédéral) donnera enfin son agrément d'effectuer des essais radiophoniques sur les émetteurs des aérodromes suisses ce sera le véritable début de la radio de divertissement et d'information.

***Maison de l'émetteur radio de l'aéroport de Cointrin
utilisée comme premier studio de Radio-Genève.***
À travers toute la Suisse, des groupes de jeunes coopérateurs se créent, s'allient, se disputent, se séparent, tant à Genève, Lausanne, Bâle, Berne et Zurich, rivalisant pour produire des programmes de radiodiffusion locale en direct, et que les autorités souhaitent contrôler.

De 1923 à 1930, nous dit Jean-Jacques Lagrange, ces expériences locales ainsi que des tentatives d'unions plus larges sont vouées à l'échec, notamment à cause d'un intérêt mitigé du public pour ce nouveau media. Minées par des luttes politiques cantonales ou entre régions linguistiques, par des difficultés financières, ces sociétés de radio entrent en conflit avec la presse écrite qui veut garder le monopole de l'information et s'oppose à toute diffusion de « news » sur la radio.

***1922. Roland Pièce devant l'émetteur du Champ de l'Air à Lausanne
a réalisé la première émission de radio en Suisse avec Paul-Louis Mercanton.***
En 1925 le studio de Radio-Genève se déplace de Cointrin dans une cave de l'Hôtel Métropole avant d'être transféré, en 1928, dans un local de la Salle de la Réformation.

C'est en janvier 1926 que Henri Baumard, un instituteur de Genthod, débute son émission Le Quart d'Heure de l'Oncle Henri qui rencontrera un immense succès et le rendra célèbre.

***Oncle Henri en représentation***
J'eus personnellement le privilège d'être un des élèves de ce maître exceptionnel, comme je le raconte dans mes Souvenirs d'un homme sans importance.
École primaire de Genthod
(1938-1942)
A cette époque, l'école enfantine confinée dans une ruelle étroite derrière la mairie devenant trop petite, M. Wenger, le maire de Genthod, décida la construction d'une nouvelle école, claire et vaste, sur un terrain communal jouxtant le cimetière, proche de notre maison.

J'avais comme maître Henri Baumard, un homme remarquable qui, en plus de son enseignement, présentait une émission pour enfants à Radio Genève Le quart d'heure de l'Oncle Henri. Nous n'étions pas peu fiers d'avoir un maître aussi célèbre.

Je me trouvais parmi des camarades dont les parents étaient pour la plupart plus fortunés que les miens. Mais jamais, à aucun moment, je n'ai souffert de la condition plutôt modeste de ma famille.

Les plus riches comme les Fatio, les Dominicé, les Audéoud, les Firmenich, les Perrot nous invitaient aux goûters de leurs enfants sans aucune discrimination. Éric Divorne le fils du cantonnier, Henri Loichot fils du coordonnier du village ou les sœurs Humbert filles du fermier du château participaient à toutes ces petites fêtes. Je ne me souviens pas d'avoir connu de vrais pauvres à Genthod, en ce temps-là.

Oncle Henri distribuant des bananes aux enfants
Un fruit fort rare en Suisse pendant la guerre

 
Blanche-neige
Ce fut en 1938/1939 que je découvris le cinéma. Oncle Henri, notre prestigieux instituteur, avait réussi à faire inviter toute la classe par le directeur du Cinéma Rialto, près de la gare Cornavin, pour une séance matinale de Blanche Neige et les sept nains, le célèbre film de Walt Disney, dont tout le monde parlait.

Or, lorsque j'arrivai à la gare de Genthod, le train venait tout juste de partir. Le chef de gare - garde-barrière qui revenait le long du quai, sa "palette" refermée à la main, me trouvant en larmes, s'inquiéta de mon chagrin et me consola.

- Ne t'inquiète pas, tu vas rattraper tes petits camarades, tu seras même au cinéma avant eux. Et, me prenant par la main, il alla d'abord relever les barrières, puis m'entraîna vers la "route suisse" qui longeait la voie ferrée.

Là, me tenant fermement de la main gauche, il leva sa palette ferroviaire, face rouge déployée, pour arrêter la première voiture roulant en direction de Genève.

Soulevant poliment sa casquette, il expliqua l'affaire à l'automobiliste compréhensif qui me fit aussitôt monter à côté de lui, à bord de sa belle auto.

En dix minutes je fus rendu au Rialto où le chauffeur complaisant me confia au contrôleur du cinéma.

Mes camarades furent tout surpris de me voir là avant eux et je ne fus pas peu fier de leur raconter mon aventure. Quant au film quel régal ! Quels souvenirs éblouissants. Je n'ai jamais ressenti depuis lors autant d'émotion au cinéma.

Bien sûr, plus tard, j'ai vu Les Enfants du Paradis, Alleluya de King Vidor, Sourires d'une nuit d'été de Bergman, les chefs d'œuvres du cinéma italien, Le maître de musique, Tom Jones, Andreï Roublev et bien d'autres. Mais la projection de Blanche Neige fut un événement immense dans ma vie d'enfant.

Ah ! la belle Escalade !

Henri Baumard en costume de « l'Escalade »,
une fête genevoise rappelant l'échec dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602
d'une tentative d'invasion de la ville par les Savoyards.
Ces costumes étaient confectionnés par la mère et conservés dans la famille.***
Henri Baumard, nous avait appris en classe la chanson satirique que tout genevois chantait ce jour-là en souvenir.
C'était en 1602, c'était en 1600 et deux !
Qu'on vit les Savoyards furieux, qu'on vit les Sa-voy-ards furieux,
Dans l'ombre de la nuit, violer notre réduit,
Ah ! la Belle Escalade, Savoyards, Savoyards,
Ah ! la Belle Esacalade, Savoyards gare ! gare !

Une vieille au poing très vigoureux (bis)
Prit sa marmite d'huile de s'u l'feu (bis)
Et sans guère attendre plus tard,
Elle en coiffa un Savoyard,
Ah la Belle Escalade…

Il nous apprit aussi l'officiel et émouvant "Cé qu'è lainô" que nous chantions d'une voix grave à la cathédrale Saint-Pierre en commémoration de l'Escalade : "Cé qu'è lainô"
Par la suite, notre maître nous fit chanter l'incontournable Picoulet, une rengaine dansée de fin de classe qui remonte à Jean-Jacques Rousseau et que les élèves du Collège Calvin ont perpétuée jusqu'à nos jours avant d'être reprise par les étudiants de Zofingue.

C'est dire que l'on ne s'ennuyait pas en classe avec l'Oncle Henri qui, je le crois bien, essayait sur nous ses trouvailles en répétition générale avant de les présenter à la Radio !

Chaque printemps, il nous emmenait, à l'autre bout du lac jusqu'à Montreux sur l'un des beaux bateaux à roue du Léman, cueillir les narcisses sur les pentes des Avants.

Ce fut lui aussi qui, au Creux de Genthod, nous fit découvrir les vestiges des piliers de bois datant de l'époque lacustre que l'on voyait encore au fond de l'eau claire, ainsi que l'épave d'un vaste bateau datant du XIXe siècle, époque où Genthod abritait le chantier naval qui construisait les premiers bateaux à vapeur (et roues à aube) !

Histoire de la Télévision genevoise
Pendant la guerre de 39-45, René Schenker avait étudié le violon au Conservatoire de Lausanne. Dans un bistrot de Clarens il rencontra un pilote de la RAF interné en Suisse après que son avion eut été abattu sur le lac.

Ce pilote, un certain M. Wilson, était ingénieur à la BBC pour le développement de la télévision… en couleurs (déjà !).

Devenu directeur-adjoint de Radio Genève, René Schenker s'est souvenu de cette rencontre. Il contacte Wilson qui l'invite à Londres pour suivre pendant l'été 1952 un cours de formation en réalisation TV destiné aux metteurs en ondes radio.

René Dovaz saute sur l'occasion mais la direction générale de la SSR à Berne refuse de financer ce voyage et René Schenker y va sur son temps de vacances et à ses frais !

A son retour, il donne une conférence au personnel radio pour expliquer ce qu'est la télévision. A la fin de sa présentation, trois collaborateurs lui demandent si on ne pourrait pas organiser une équipe à Genève. Ce sont Robert Ehrler, William Baer et Jacqueline Regamey. Chose dite, chose faite.

Ils s'achètent une caméra Paillard 16mm, une visionneuse et une colleuse alors que René Schenker trouve une classe inoccupée dans l'école de Genthod, classe qui avait été celle d'Henri Baumard, le fameux « Oncle Henri » des émissions de radio pour les enfants !

***L'ecole de Genthod ***
Une ancienne salle de l'école de Genthod hébergea durant quelques mois la Télévision genevoise.
À gauche vue actuelle de l'école. Henri Baumard y enseigna durant plus de vingt ans.
La Télé s'installa ensuite dans la villa Mon Repos, à la Perle du lac.
Des collaborateurs de Radio Genève rejoignent les pionniers. Ce sont Bernard Schmidt, opérateur son, Edouard Brunet, ingénieur radio et Roger Keller, concierge de Radio-Genève mais habile menuisier. Ils installent la classe comme ils imaginent que doit être un studio TV, bricolent un gril pour l'éclairage… bref, c'est le système D avec l'aide de René Schenker, très fort pour trouver du financement et des solutions, notamment en récupérant le matériel son, des câbles et des projecteurs à Radio-Genève.

Chaque membre du groupe paie son matériel et sa pellicule mais René Schenker note tout dans un carnet et remboursera chacun quand la TV genevoise sera officiellement créée. Parmi les équipements récupérés, il y a une trouvaille que René Schenker à déniché au marché aux puces: un poste de radio comportant au centre un verre dépoli en forme d'écran TV. Sur un côté du poste, un casier avec un projecteur 16mm et un jeu de miroirs projetant l'image sur le verre dépoli. C'est sur ce poste que l'équipe se projette ses premiers films et cet appareil va jouer un rôle capital pour la suite de l'aventure de la Télévision Genevoise.

La projection décisive
A Genthod, le Groupe progresse et tourne de petits sujets sur ce qu'il pense devoir être de la télévision. Tous travaillent 44 heures à la radio et viennent le soir et les week-ends pour « faire de la TV ». René Schenker et René Dovaz sentent bien qu'il faut passer à la vitesse supérieure et font marcher leurs relations.

Au printemps 1953, ils invitent trois conseillers administratifs, Maurice Thévenaz, Marius Noul et Albert Dussoix, pour une démonstration dans le studio de Genthod. Tout est ripoliné et, sur une table, trône le poste-radio et son écran dépoli. Le Groupe a collé bout-à-bout de petites actualités sur Genève, du sport et une chanson mise en images par Robert Ehrler, sa spécialité. Le film muet a été sonorisé sur un magnéto 6mm qu'Edouard Brunet, dans les coulisses, fait démarrer synchrone au pif ! Les trois conseillers administratifs admirent le studio et s'installent devant le poste. Noir. Film. L'illusion est parfaite. A la fin, applaudissements et, croyant avoir vu de la télévision Albert Dussoix demande : « Quelle définition utilisez-vous ? »

Il faut bien lui expliquer la « supercherie », mais les politiques sont si enthousiasmés qu'ils décident sur le champ de soutenir l'initiative. Albert Dussoix, le grand argentier de la Ville, est prêt à tout faire pour aller vite. En fin politicien et visionnaire, il voit les avantages qu'il peut tirer pour Genève… et pour sa carrière. Avec René Schenker il sera le pionnier de l'aventure de la Télévision Genevoise. (Jean-Jacques Lagrange)

Merci à M. Guido Delameilleure qui m'a adressé une phoocopie de l'introuvable ouvrage de l'Oncle Henri : Allô ! Allô ! L'Oncle Henri vous parle… paru à Bienne (Suisse) aux Éditions Pierre Boillat en 1955, (dédicacé par l'auteur à Maurice Tièche). Ce livre se trouve à la bibliothèque du Campus adventiste. [biblioth¸que@campusadventiste.edu]
Commune de Genthod
Mon histoire de la Radio suisse romande
Histoire de la Télévision genevoise

 
 
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